AÌ€ la poursuite de l’œuvre secreÌ€te de la premieÌ€re femme photographe

Au cours des années 1980-1990, le marché de la photographie ancienne est en plein essor. L’intéreÌ‚t porté par les institutions, les musées et les collectionneurs américains ne cessent de croitre. PrivileÌ€ge réservé jusque-laÌ€ aÌ€ des amateurs européens, un nouveau marché se crée, se développe et devient international. L’attrait pour la topographie, la naissance des identités et l’ethnographie continuent de passionner, mais un autre sujet éveille l’engoue- ment : le nu et l’érotisme.

Dans ce nouvel essor, le marché confidentiel des daguerréotypes de nu est dominé par deux personnalités : Uwe Scheid (1944-2000), chef d’entreprise allemand, et Serge Nazarieff, (1935-2004), écrivain, originaire de GeneÌ€ve. Fréquemment, les deux collectionneurs se ren- contrent, échangent ou s’acheÌ€tent des œuvres, et de cette passion com- mune, de cette collaboration naitra plus d’une dizaine d’ouvrages. Nazarieff se tourne vers la recherche avec enthousiasme. Il fré- quente les musées, les institutions et les bibliotheÌ€ques, cherche inlassablement les lieux ouÌ€ il pourrait découvrir ces treÌ€s rares spéci- mens de daguerréotypes. Il devient fin connaisseur et acheÌ€te notam- ment des daguerréotypes non fermés. En les étudiant, il remarque que le dos des plaques constitue une véritable source d’informa- tions. Poursuivant ses recherches scientifiques, il commence par la manipulation des daguerréotypes de sa propre collection et obtient, par la suite, l’accord d’institutions et de collectionneurs pour ouvrir de plus en plus d’œuvres. Les recherches menées par Serge Nazarieff lui font découvrir des « familles » de photogra- phes, révélant des parentés et rendant possible des attributions de plusieurs corpus. Il étudie les décors et accessoires, ainsi que les sources disponibles dans les bibliotheÌ€ques. Les registres de police lui permettent parfois d’identifier modeÌ€les ou photographes. Au sein de la dizaine de photographes reconnus, l’une d’entre eux a retenu toute son attention : Laure Gouin-Braquehais.

Comme sa meÌ€re Marie, Laure Gouin-Braquehais colorise les da- guerréotypes réalisés par son peÌ€re Alexis Gouin. Ce que décou- vre le chercheur, c’est qu’elle choisit progressivement de passer derrieÌ€re l’objectif, devenant ainsi la premieÌ€re femme aÌ€ réaliser ses propres images, la premieÌ€re femme photographe. Un détail tech- nique a permis d’identifier ses clichés. Serge Nazarieff précise aÌ€ ce sujet : « Laure réalise, sous l’influence de son peÌ€re ou de son mari, quelques nus picturaux. Seule la connaissance de l’état des plaques nous aide alors aÌ€ distinguer ses images de celles des deux hommes, car lorsqu’elle acquiert le dos aÌ€ ressorts de Belloc, elle continue aÌ€ utiliser le systeÌ€me aÌ€ dos coulissant de la chambre de son peÌ€re (dos qui donne les deux images sur une seule plaque 2/6), alors que son mari utilise un appareil aÌ€ dos simple pour des plaques 1/6 qui sont ensuite collées coÌ‚te aÌ€ coÌ‚te avec du papier pour obtenir l’image stéréoscopique. »

Vers 1995, apreÌ€s une petite décennie aÌ€ étudier la photographie érotique primitive, Nazarieff ceÌ€de sa collection pour se consacrer exclusivement aÌ€ l’étude du dessin ancien. Il vend la plupart de ses daguerréotypes aÌ€ M. de C., qui les conserve une trentaine d’an- nées et propose aujourd’hui leur dispersion.